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mardi 17 août 2021

Créer un monde de sens implicite


"J'avais vu tomber une fleur de camélia. 
Il m'était arrivé de voir les pétales rouges joncher le sol comme des gouttes qui éclaboussent, les fleurs choir lourdement, sans perdre leur forme, mais jamais je n'avais vu de près une fleur de camélia dans sa chute. 
Regarde ! ai-je dit à Rei qui marchait à côté de moi. Il a tourné tout de suite les yeux et a ramassé machinalement la fleur qui avait conservé sa forme, intacte. 
Sans rien dire, il l'a serrée avec force dans sa main. Les gros pétales se sont détachés et dispersés au sol. Des doigts qui les emprisonnaient, plusieurs ont continué à s'échapper. Enfin, il n'est plus resté que le cœur de la fleur, tout jaune. Rei l’a broyé dans sa paume."
Hiromi KAWAKAMI, Manazuru
(extrait)

Souvent, je n'arrivais pas à décrire exactement ce que je ressentais à la lecture d'un roman japonais. En fermant un roman écrit par une autrice ou un auteur japonais, je suis en général laissé à une douce rêverie.
Je crois avoir mieux analysé ce sentiment, récemment, en lisant l'introduction du poète Zéno Bianu et de la traductrice Corinne Atlan pour leur anthologie du haïku, parue chez Gallimard. Ils y utilisent l'expression "créer un monde de sens implicite". Et cette expression m'a immédiatement parlé.
C'est bien cela que j'éprouve régulièrement en lisant un auteur du Japon : les émotions, les sentiments, la psychologie des personnages ne sont pas analysés ou décrits de manière directe. On comprend tous ces états intérieurs grâce au contexte. Il y a beaucoup de non-dits mais aussi une approche très sensible et très connectée à la nature, aux détails, à la vie comme elle est. Une forme de délicatesse. Cette écriture de la suggestion est caractéristique de la poésie japonaise, mais on la retrouve aussi dans les textes de fiction en prose.

On dit souvent que les Japonais sont très habiles pour comprendre sans rien dire (ou à mots très couverts) les sentiments d'une personne. Ils peuvent lire sur votre visage vos émotions. Ils sont habitués à "lire l'air" comme le montre l'expression japonaise : kûki wo yomu. Ils "lisent l'air" de la situation et, par conséquent, les expressions faciales des personnes sont une source d'information pour comprendre leurs émotions. Cela explique peut-être en partie cette délicatesse. On n'a pas à appuyer là où cela fait mal ou à souligner une émotion positive, si on l'a déjà "lue" dans l'atmosphère de la rencontre et de la pièce. C'est une forme de politesse.



Dans les cultures où le contrôle des émotions est la norme, comme au Japon, l'accent est mis sur les yeux pour les interpréter. Alors que dans les cultures où les émotions sont ouvertement exprimées, comme aux États-Unis, l'accent est mis sur la bouche. Ces différences culturelles sont, par exemple, illustrées par les émoticônes, ces symboles utilisés pour transmettre une émotion dans un e-mail, un sms et sur les réseaux sociaux en général. Les émoticônes japonaises de bonheur et de tristesse représentent la forme des yeux, tandis que les émoticônes américaines utilisent la bouche. Aux États-Unis, les émoticônes : ) et : - ) désignent un visage heureux, tandis que les émoticônes :( ou : - ( désignent un visage triste. Les Japonais, eux, ont tendance à utiliser le symbole (^_^) pour indiquer un visage heureux, et (;_ ;) pour indiquer un visage triste. Or les yeux se taisent ou parlent d'eux-mêmes, quand la bouche, elle, bavarde !

Yukio MISHIMA s'amuse dans son roman "La musique" de la discrétion et de la simplicité des Japonais, en livrant une vive critique de la psychanalyse dans le style d'une lettre de menaces de l'extrême droite adressée au héros du roman, un psychanalyste japonais...or la psychanalyse est un art de la parole :

"La psychanalyse, c'est la destruction de la culture japonaise traditionnelle. La "frustration" et autres hypothèses tout aussi négatives constituent un véritable sacrilège envers la vie psychique des Japonais simples et bons. Face à la culture japonaise qui, dans sa modestie, s'est toujours refusée à pénétrer trop avant dans le coeur de l'homme, des dogmes malpropres et vulgaires comme ceux qui veulent à tout prix trouver une cause sexuelle à tous les comportements humains, et qui se targuent ainsi de libérer l'homme de ses refoulements, ne sont rien d'autre qu'une philosophie née dans le crâne le plus corrompu, le plus vil de tout l'Occident."

Pour terminer cette réflexion sur le style d'écriture japonais. J'aimerais aussi mettre en avant deux concepts de l'esthétique japonaise, caractérisée par la sincérité, la légèreté, l'objectivité et une tendresse particulière à l'endroit des créatures vivantes (rappelez-vous du chat de Sôseki ou de la grenouille de Bashô).
  1. 幽玄 / yûgen : les sentiments les plus profonds ne doivent pas être exprimés, l'intellect ne peut appréhender la vérité ultime, il s'agit donc de suggérer un état intérieur sans le décrire.
  2. わび・さび / wabi sabi : la beauté doit amener à une prise de conscience qui permet de trouver de la satisfaction dans la pauvreté et la solitude. On peut ressentir des choses profondes et riches dans un environnement calme, admirer un objet rouillé ou patiné par le temps...Wikipédia donne les définitions suivantes pour wabi : solitude, simplicité, mélancolie, nature, tristesse, dissymétrie… et pour sabi : l'altération par le temps, la décrépitude des choses vieillissantes, la patine des objets, le goût pour les choses vieillies, pour la salissure, etc.
Voilà, ce sont des réflexions sur la littérature japonaise qui ne sont pas le fruit d'un long travail de recherche, mais de recoupements entre différentes lectures et d'impressions longtemps ressenties. 
Si vous avez un avis plus docte sur le sujet, je suis à l'écoute des commentaires et des critiques constructives.

Bonnes lectures !




Creative Commons     License
Tatamisés, les fous de Japon by François-Xavier ROBERT est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale-Pas de Modification 2.0 France.

mercredi 10 février 2021

Un remix beatbox du "Sūtra du Cœur" par le moine bouddhiste Yogetsu Akasaka

Peut-on combiner station vocale de boucles (la RC-505 de la marque Boss), beatboxing (forme de chant qui transforme son interprète en "boîte à rythmes humaine")...et bouddhisme zen ?

Réponse positive avec le moine japonais Yogetsu Akasaka, devenu star de YouTube grâce à sa vidéo virale : une méditation musicale planante, fruit d'une variation à partir du "Sūtra du Cœur", l'un des textes centraux du bouddhisme.

Alors zen ou pas zen ?

Tous ces détails sont inutiles. Si vous ressentez les effets du stress en cette fin de froide semaine, fermez juste les yeux quelques minutes, respirez profondément et écoutez cette musique en cliquant ci-dessous. Effet calmant garanti !

 


https://youtu.be/nvIGCMhjkvw



(Photo François-Xavier Robert, Kamakura, en été. Kamakura est un haut lieu du bouddhisme zen)


mardi 19 avril 2011

Apprendre à écrire des haïkus

Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais j'ai toujours aimé les haïkus, ces petits poèmes de trois lignes japonais. Je ne sais pas si c'est l'économie de moyen, les références à des sensations, au temps qu'il fait ou au temps qui passe...enfin, je ne sais pas pourquoi mais je trouve qu'ils sont touchants et qu'ils entrent en résonance avec mon monde, peut-être plus que certaines poésies occidentales.
Il y a une dizaine d'années, j'habitais au Japon et nous avions participé avec quelques amis à un concours de haïkus organisé par un grand journal local. J'avais pris la chose un peu à la rigolade et sans grand sérieux mais malgré tout remporté une petite mention dans le concours. Je vous encourage à participer :)
Pour en savoir plus sur ce concours, vous pouvez vous renseigner en suivant ce lien.

Pour aller plus au fond des choses et développer votre créativité et votre habileté à écrire des haïkus, je vous recommande aussi les sessions de formation d'un expert, M. Philippe Costa, auteur du Petit manuel pour écrire des haïkus, paru aux éditions Philippe Picquier.

Amis poètes, à vos claviers !

mardi 27 novembre 2007

Reflexions on Mt Fuji


Chaque fois que dans le Shinkansen je passe
Le point d'où je devrais le voir, le Fuji
Se dérobe. Longtemps j'ai cru que surgi
De la pluie ou brume et la pollution crasse

Il daignerait, pour moi, lecteur du Genji,
Moi, du Manyôshu, si chargé de sa grâce,
Il daignerait, dis-je, dévoiler sa face
Chère aux poètes, son ice-cream cône blanc pur. J'y

Crus. Aujourd'hui, hélas (oh ! Cela me coûte
De l'avouer, mais je vous dois, âpre, toute
La vérité) je soupçonne que le grand

Fuji n'existe pas, ou plus ; qu'il s'est peut-être
Volcan inverse, renfoui en terre tant
Ce monde l'a blessé qu'il ne veut plus connaître

Shinkansen, 3 octobre 2000

CHURCHILL 40 ET AUTRES SONNETS DE VOYAGE 2000-2003, p. 124, Jacques Roubaud, éditions Gallimard, 2004.

Et merci à Arno pour son Mont Fuji crépusculaire, aperçu un dimanche 25 novembre 2007.